En voie de disparition, le Condor est confronté à des menaces multiples dans les pays andins. Au Pérou, la société civile se mobilise pour tenter de créer une zone de conservation afin de protéger ce géant du ciel et de générer des revenus au bénéfice des populations locales. Sauver le Condor c’est aussi perpétuer sa force symbolique dans l’imaginaire du peuple quechua dépositaire de la civilisation inca.
« Le Condor c’est l’œil du monde ! »
Au sommet du site archéologique de Caniche, la montagne façonnée de terrasses irriguées depuis un millier d’années ressemble à un dessin d’enfant qui aurait veillé à la simplicité et à l’harmonie des formes. Bariolée, la troupe de danseurs dirigée par Jorge Luis Cupe ne se laisse pas désarçonner par l’orage qui gronde. Etablissant un lien avec les esprits du Condor et des montagnes, le gardien de la tradition de « la danza tijeras » (la danse des ciseaux) rejoue, à force d’acrobaties et de lames qui s’entrechoquent comme des cymbales, les siècles de persécution sur fond d’inquisition religieuse hispanique succédant à l’époque des Incas.
Omniprésent dans l’imaginaire andin, le « kuntur », en langue quechua, est aussi l’oiseau le plus vénéré dans cette région du monde. Symbole national du Pérou, de la Bolivie, du Chili, de l’Argentine, de l’Equateur ou de la Colombie, la plus grande espèce d’oiseau terrestre recensée est pourtant menacée de disparition. Le majestueux vautour aurait quasiment disparu du Venezuela, de Colombie et d’Equateur. Selon le dernier recensement effectué par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), il resterait à peine quelques milliers de spécimens dans l’ensemble des pays traversés par la cordillère des Andes. Loin des images symboliques et des objets frappés du sceau du Condor qui fourmillent dans les musées, sur les objets usuels ou sur les devantures de commerces, la vérité des chiffres est cruelle au Pérou.
« Ce que nous savons, c’est que l’espèce était abondante au Pérou auparavant et qu’elle ne l’est plus aujourd’hui, estime le chercheur et biologiste Renzo Piana, directeur d’IBC (Instituto del Bien Común), à Lima. A l’heure où nous parlons, il reste une population d’environ quatre cents individus dans tout le pays, ce qui place le Condor dans une situation de conservation très urgente. En fait, au Pérou, le Condor est considéré comme une espèce en danger. »
Perte d’habitats liée aux pressions humaines sur la côte et en montagne, où il se déploie entre 3 000 et 6 000 mètres d’altitude, braconnage pour ses plumes ou certaines fêtes traditionnelles, empoisonnement par des paysans, diminution de son stock de nourriture liée au surpâturage ou à la chasse, bouleversements climatiques… Le cocktail lié au déclin rapide des populations de ce géant des montagnes – ses ailes mesurent jusqu’à 3,2 mètres d’envergure – place les autorités péruviennes et les collectivités devant une responsabilité multiforme.
« Face aux changements climatiques qui impactent fortement les zones de montagne, nous savons qu’il y aura moins d’eau disponible dans les régions les plus élevées des Andes, en raison de la disparition des glaciers qui fondent progressivement, poursuit notre interlocuteur. Cette perte d’eau entraînera probablement la disparition de la végétation. Et d’après ce que nous avons étudié ici et ailleurs, le Condor des Andes entretien un lien très étroit avec les zones qu’il utilise pour se nourrir et la végétation indigène. Si cette végétation disparaît en raison d’un manque d’eau, il est probable que le Condor ne pourra plus se nourrir dans ces zones. »
C’est dans la région d’Ayacucho, située à 550 kilomètres au sud-est de Lima, que réside une des dernières grandes colonies de Condors au Pérou. Selon un recensement effectué en 2022, une septantaine d’entre eux nichent encore dans la vallée de Sondondo. En ce petit matin frais de septembre, les falaises du canyon de Mayobamba accueillent leurs hôtes venus dorer leurs ailes au soleil levant. Du haut du poste d’observation cofinancé par la coopération belge lorsqu’elle était présente (jusqu’en 2019) au Pérou, le spectacle, à 3 500 mètres d’altitude, époustoufle. Traversant la vallée depuis leur dortoir, les Condors profitent d’un long répit avant de se faire aspirer par les courants ascendants pour aller s’abreuver au réservoir d’Oussarata (« le dos qui tombe »), enclave inaccessible à d’autres espèces dans le canyon. Observant chaque passage face à l’observatoire, Wilber Rimache Allcca, président de la communauté de Mayobamba, ne se lasse pas d’observer ce ballet aérien : « Le Condor, c’est l’œil du monde, s’exclame-t-il. Il fait rayonner notre pays. On vient de loin, comme vous, pour l’observer. Nous prenons soin de notre Condor des Andes, mais cela ne suffit plus. Les câbles électriques que vous voyez, qui alimentent les villages de la vallée, entraînent une mortalité de dix juvéniles chaque année. Les entreprises privées n’accordent pas assez d’importance à l’éco-tourisme ou au Condor des Andes. Nous demandons au gouvernement de nous soutenir dans ce combat pour déplacer le réseau électrique à un autre endroit. »
Traçant des lignes parallèles au-dessus de parcelles agricoles lointaines, les câbles dessinent aussi un monde d’en bas parsemé d’embuches. Où les charognes empoisonnées par des paysan.nes apeuré.es constituent désormais un risque mortel pour les Condors. Un peu plus loin dans la vallée, Climaco Romero, paysan passionné par les espèces sauvages depuis son enfance, est intarissable sur le sujet. Au village de Cabana Sur, cet insatiable pisteur du Condor décrit le processus à l’œuvre : « Le Condor trouve moins de nourriture en raison de la diminution des proies liée au surpâturage. Le recul des grands prédateurs comme le puma et le jaguar, qui lui fournissent des carcasses dont il consomme les restes, a aussi raréfié ses sources de viande. Il arrive donc au Condor de chasser lui-même, explique-t-il en pointant les lieux où il a observé ces comportements. Il s’attaque parfois au bétail – vaches, moutons, alpagas… – proche de falaises en l’effrayant et en contraignant les bêtes à se jeter dans le vide. Face à ces comportements, craintifs pour la survie de leur bétail, certain.es agriculteur.rices empoisonnent désormais les charognes pour tuer les Condors. »
« Il reste une population d’environ 400 individus dans tout le pays, ce qui place le condor dans une situation de conservation très urgente » Renzo Piana, directeur d’IBC
Malgré plusieurs tentatives d’approche, il ne nous a pas été possible de rencontrer ces paysan.nes qui se disent victimes de ce vautour dont le rôle de nettoyeur de carcasses d’animaux est essentiel dans l’équilibre écologique des vallées. Interdites, ces pratiques d’empoisonnement demeurent une réalité selon plusieurs témoignages recueillis. « Ces pratiques existent, confirme Oscar, éleveur perdu dans l’immensité des hauts plateaux, mais pour ma part, mes alpagas n’ont jamais été attaqués par le Condor. J’ai plutôt eu droit à la visite d’un puma, au printemps dernier, qui m’a tué une quinzaine de bêtes. »
Se sentant démunis face à ces pratiques, les responsables de différentes communautés villageoises demandent « que ce type d’empoisonnement soit porté à la connaissance de la population péruvienne afin de la sensibiliser et de faire pression sur les autorités », appuie Wilbert Rimache Allcca. Biologiste au gouvernement de la région d’Ayacucho, William Ayala Hinostroza reconnaît l’ampleur du problème tout en élargissant son contexte. « C’est un écosystème riche qui a favorisé jusqu’ici la reproduction du Condor des Andes et qui joue le rôle de fournisseur pour les régions voisines jusqu’à la côte atlantique, réagit-il. L’Etat péruvien et la région ont déjà adopté une législation assez complète pour protéger le Condor, mais il est néanmoins nécessaire d’agir avec de nouvelles propositions de conservation de son habitat. »
Porté par l’association Eco-Ayni, le projet de création d’un parc régional dédié à la protection du Condor et au développement de l’écotourisme dans la vallée fait écho à cette déclaration. Cheville ouvrière de ce projet porté depuis 2020, l’économiste Guillermo Maravi a attendu que la crise du Covid-19 passe pour reprendre son bâton de pèlerin dans la vallée en 2024. « Originaire de Cuzco, j’ai pris conscience dès mon plus jeune âge de l’importance du Condor en tant qu’oiseau emblématique de la culture andine, raconte ce cofondateur d’Eco-Ayni. Depuis mon enfance, j’ai vu des Condors voler en escadrille. Quand nous sommes allés sur le site le plus important du Pérou et que nous avons appris qu’il était en train de disparaître, j’ai été très affecté. Et il m’a paru évident qu’il fallait construire une solution au bénéfice des populations locales qui sont principalement d’origine quechua. » Pour le biologiste Renzo Piana, l’établissement d’une ou de plusieurs zones de conservation serait bénéfique pour les Condors à condition que l’on privilégie les endroits où il y a le plus grand nombre d’individus. « Mais je suis très prudent, nuance-t-il, car les Condors se déplacent beaucoup et parcourent plusieurs centaines de kilomètres par jour. On peut donc créer une zone de conservation avec des limites précises, mais en quittant cet espace, le Condor s’exposera à d’autres menaces. L’effort doit impliquer la population et les autorités qui vivent au-delà pour qu’elles mettent également en œuvre ces mesures de conservation. Sinon, les Condors risquent d’être confrontés aux mêmes risques… »
Ces risques sont aussi bien identifiés au sanctuaire animalier de « Cochahuasi », non loin de Cuzco, situé à dix heures de pistes et de routes vertigineuses depuis la vallée de Sondodo. Animaux braconnés, maltraités, victimes de trafics parfois hallucinants – comme ce puma drogué et exhibé en boîte de nuit – ce refuge ouvert au public et aux allures de zoo triste recueillait onze Condors lors de notre passage en septembre dernier. « La plupart des Condors présents ont été victimes du braconnage et du commerce illégal de plumes qui peuvent se vendre jusqu’à mille euros l’unité, explique Dante Chavez Alvarez, manager du sanctuaire. Les autres Condors recueillis sont souvent liés à la Jawar fiesta, ces festivals traditionnels au cours desquels on attache un Condor sur le dos du taureau. »
Patte blanche ! Pour pouvoir filmer les Condors dans le sanctuaire et procéder à l’interview, l’ONG Eco-Ayni a dû débourser 200 dollars après moult tractations. Une monétarisation de l’image appliquée également aux visiteurs du sanctuaire souhaitant assister à l’entraînement au vol des Condors. Face à une pratique qui a engendré une réprobation au sein de l’équipe de tournage qui accompagnait ce reportage, la direction s’explique : « Lorsque le Condor entre en contact avec l’homme, il devient plus calme. C’est la phase de réhabilitation où nous devons en prendre soin et le protéger. Mais avant de le relâcher, nous l’éloignons de cette zone, expose Dante Chavez Alvarez. Nous souffrons encore des séquelles de la pandémie du Covid-19 qui a fortement affecté notre sanctuaire auto-financé. Nous consacrons cet argent pour la nourriture – entre trois et cinq kilos de viande par jour par Condor -, les médicaments, les tests sanguins, les vétérinaires spécialisés et le nettoyage de leur zone. »
A ce jour, à peine quatre Condors hébergés à Cochahuasi ont pu être relâchés à l’état sauvage, le dernier en 2019. « L’objectif, affirme notre interlocuteur, demeure de libérer les animaux lorsque les conditions sont réunies et qu’ils ont retrouvé toute leur capacité à se nourrir par eux-mêmes et à voler.
Un couple de Condors et une juvénile de 5 ans vont et viennent dans la grande volière. Posés fièrement sur deux colonnes, les deux parents âgés de 77 et de 55 ans – le Condor peut vivre cent ans – semblent prêts pour le grand départ avec le fiston « adopté ». « Apucina, la mère, qui a été recueillie voici quatre ans, n’est pas encore tout à fait prête, remarque notre guide. Elle doit faire l’aller-retour plus de deux cents fois dans la volière pour pouvoir être libérée. Ensuite, il faudra obtenir les permis gouvernementaux pour la libération et nous devrons également trouver l’argent – entre 7 000 et 10 000 euros – pour financer l’équipement GPS qui permettra de les suivre in situ, comprendre leurs mouvements et leur réintégration à l’état sauvage. »
Alors que des programmes de reproduction en captivité ont été mis en place dans plusieurs pays andins, le sanctuaire péruvien n’a pas encore franchi cette étape même si elle est considérée, à terme, comme un moyen indispensable dans l’arsenal de la préservation de cette espèce qui, au-delà de son rôle écologique, demeure au cœur d’une vision symbolique forte : « Dans l’imaginaire andin, le Condor représente le monde céleste. Ce monde de la montagne est le pont entre le ciel et la terre, nous explique l’anthropologue Juan Ossio Acuna. L’esprit des montagnes est celui qui va apporter la bonne fortune, une bonne agriculture et une année splendide, c’est ainsi que le Condor représente le monde d’en haut. »
Retour sur le site de Caniche, à Andamarca, où le rituel de la danse des ciseaux se poursuit, rythmé par une harpiste et un violoniste. Soudain, le chef des danseurs sort de son sac une tête de Condor mort pour invoquer la fertilité de la terre. Brutale, la grêle qui s’abat sur l’assemblée interrompt le spectacle. Le ciel a changé de couleur en quelques instants. « Ces événements météorologiques sont nouveaux et peuvent provoquer l’inondation des cultures et l’effondrement des terrasses, constate Jorge Luis Perez Tito, paysan local qui est aussi membre d’Eco-Ayni. L’agriculture dans notre région est fortement impactée par les changements climatiques. Mais je ne suis pas certain que l’esprit du Condor y changera quelque chose… » —
La fête du sang : rituel d’un autre âge Au cœur de la place de Chipao, une sculpture monumentale d’un taureau terrassé par un Condor donne toute la portée symbolique de la Yawar Fiesta (« la fête du sang ») qui perpétuait ce rituel populaire jusqu’il y a peu. « Les hommes du village capturaient des Condors de différentes manières en les appâtant avec des charognes dans des espaces faciles d’accès pour l’homme. Il était aisé de les capturer après leur festin tant ils avaient de la peine à s’envoler en raison du poids de la quantité de viande ingurgitée, explique l’anthropologue Juan Ossio Acuna. Le jour de la Yawar Fiesta, on attachait un Condor, symbole du peuple andin, sur le dos d’un taureau, symbole de l’occupant espagnol. En donnant des coups de bec et en picorant le cou du taureau, le Condor agissait comme le torero et ses banderilles… » Confrontation entre le monde d’en haut et le monde d’en bas, retour du bâton symbolique du peuple péruvien colonisé à l’égard du colonisateur espagnol, les Jawar Fiesta sont désormais interdites en raison de leur cruauté et du taux de mortalité important des animaux – taureaux et Condors – impliqués dans ces combats d’un autre âge. La fête du sang se perpétuerait encore dans quelques rares sites andins à la fin du mois de juillet et permettrait « de régler de façon rituelle les conflits d’intérêts locaux, sans avoir recours à la justice de l’Etat ou à la vengeance personnelle. » A Chipao, ce jour-là, la Jawar fiesta a fait place à une cérémonie sobre. Quelques fromages, des pommes de terre et des œufs durs sont déposés sur une table au pied de la sculpture monumentale de la place du village où convergent les habitant•es. Décorés d’un bandeau honorifique et d’une médaille, le Condor et le taureau sculptés surplombent une fontaine à l’eau cristalline. Pas de bain de sang à Chipao. Un youtubeur local débarque avec fantaisie pour filmer et célébrer ces Belges du bout du monde tandis que le chanteur du groupe Wamango, Julien Lesceux, ancien coopérant, entonne son Condor à la guitare. « Au-dessus des nuages, n’est que lumière, Plus de laisse, plus de chaîne, ni de cage ni de volière (…) Un œil dedans, un œil dehors, D’ombre et de lumière, Nous sommes les Condors. » |
« Créer un modèle au bénéfice de la population locale »
Sur les cultures en terrasses d’Andamarca, de nombreux paysans et paysannes accourent ce jour-là pour fêter les premières semailles de pommes de terre en ce de début de saison des pluies. Tirant une charrue sous le soleil de midi, deux bœufs rythment une cérémonie haute en couleur. Les bouquets de fleurs en papier accrochés dans les chevelures ressemblent à autant d’offrandes à la montagne sacrée… Abritée à l’ombre, Ruth Flores Cupe renoue avec son pays quechua après avoir étudié l’hôtellerie et le tourisme à Lima.
« Je savais dès le départ que je voulais revenir ici car il y a tant de choses à faire, sourit-elle. Notre pays a été durement impacté par la crise du Covid-19 dont le secteur du tourisme ne s’est pas encore remis. Le projet de création d’une zone de conservation du Condor est assez important de ce point de vue là. Il permettrait d’offrir une série de services touristiques liés aux guides, à l’hébergement voire aux produits locaux. »
Epicentre du conflit entre le Sentier lumineux et l’Etat péruvien qui a embrasé le Pérou dans les années 1980 et 1990, la région d’Ayacucho a déploré des dizaines de milliers de victimes, rappelle Aliocha Maldavsky, professeure à l’université Paris-Nanterre. « Une grande partie de la population de la vallée de Sondondo a alors migré vers la capitale, Lima, ou vers la partie côtière de la cordillère, en quête de sécurité et de travail. Malgré le retour à la paix, les taux d’émigration restent aujourd’hui élevés chez les jeunes. La principale activité économique est l’agriculture, sur de petites exploitations, avec des débouchés commerciaux limités. »
Eloignées d’une vallée difficilement accessible, les associations de migrant.es préservent cependant les liens avec leurs localités d’origine, organisant des mini-projets d’œuvres sociales à destination des familles vivant dans la vallée et des initiatives de rénovation des églises. « Beaucoup de familles appartiennent par ailleurs à des “communautés paysannes”, une institution héritière des communautés indigènes, reconnue par l’Etat péruvien. »
Au-delà des dimensions patrimoniales et culturelles de la vallée – cultures en terrasses précolombiennes, sources thermales, sites archéologiques, églises, danses traditionnelles… – la dimension écologique et touristique de la préservation du Condor ne va pas nécessairement de soi malgré une offre naissante de gîtes et de chambres d’hôtes chez l’habitant. Annonçant de façon tonitruante notre arrivée via les haut-parleurs installés dans son village, José Huamaní Galindo, président de la communauté de Sondondo, se projette avec difficulté. Dans leur local villageois, plusieurs habitant.es l’ont rejoint avec gravité : « Les Condors nichent sur notre versant de la vallée mais nous ne bénéficions d’aucune retombée liée au mirador installé sur la commune de Mayobamba, se désole-t-il. Parmi les trente-deux villages de la vallée, nous sommes sans doute le plus impacté par les départs en ville. Les jeunes sont partis à Lima et nous nous sentons abandonné.es. Je ne vois pas de représentant.es de l’Etat pour nous défendre face à la crise économique qui affecte notre vallée. »
Patience dans l’azur… Professeure à l’université Antonio Ruiz de Montoya, à Lima, Monica Lovera observe de son côté un mouvement naissant en faveur du renforcement d’un tourisme durable au bénéfice des collectivités locales : « Nos étudiant.es viennent souvent de différentes régions du pays et sortent d’ici avec l’intention d’avoir un impact sur la société. Beaucoup préfèrent désormais le faire dans leur région d’origine et prendre soin des lieux d’où elles et ils viennent en fonction du cursus choisi… J’ai toujours pensé que les personnes originaires de l’intérieur du Pérou, précisément parce qu’elles grandissent entourées d’un environnement naturel, sont plus conscientes, plus sensibles, plus responsables et ont une vision plus holistique et intégrative. »
Egalement confiant en l’avenir, Guillermo Maravi, cofondateur de l’ONG Eco-Ayni, veut mettre toute son expérience auprès des peuples autochtones péruviens à profit pour convaincre les protagonistes locaux et les autorités du bien-fondé de ce projet pour l’économie rurale. « Ma conviction part du constat opéré dans les zones les plus touristiques du Pérou et en particulier autour du Machu Picchu où la population récolte peu de retombées économiques, souligne-t-il. Ce sont les grandes entreprises qui bénéficient de tous les revenus. Le terme d’écotourisme est dévoyé dans ce cas-là. Ce que nous voulons développer, c’est un modèle dans lequel la population locale est la principale participante et la principale bénéficiaire des services offerts. »
Pour établir ce parc régional dédié au Condor, il faudra encore convaincre le gouvernement péruvien de libérer des moyens pour contrôler cette future zone de conservation, protéger l’habitat des Condors mais aussi le cortège d’espèces associées et développer progressivement une nouvelle offre susceptible d’attirer des visiteur.euses. «L’idée est de développer un label de la vallée de Sondondo qui permettra à tous les produits qui ont été traditionnellement développés dans cette zone d’être présentés sur le marché. Ce label contribuera au maintien de cette zone de conservation et améliorera le revenu des habitant.es. » —
Textes et photos : Christophe Schoune
Ce reportage, facilité par Julien Lesceux, a été réalisé en septembre 2024 en partenariat avec l’association belge Climate Voices et l’ONG péruvienne Eco-Ayni, qui ont cofinancé le tournage ainsi que les coûts opérationnels du reportage. Un documentaire sur la création d’un parc régional dédié au Condor, coréalisé par Climate Voices et TV Com, sera diffusé prochainement sur les médias de proximité en partenariat avec Imagine.