Pour mettre concrètement en œuvre des fermetures et des redirections, l’Origens Media Lab développe un protocole de renoncement. Autour des stations de ski, notamment.
Pour mettre concrètement en œuvre des fermetures et des redirections, l’Origens Media Lab développe un protocole de renoncement. Autour des stations de ski, notamment.
Pour mettre concrètement en œuvre des fermetures et des redirections, l’Origens Media Lab développe un protocole de renoncement. Autour des stations de ski, notamment.
Le maire de Bordeaux qui veut mettre fin « aux sapins morts » à Noël, son confrère de Lyon qui refuse un Tour de France« polluant et machiste »… Ces édiles écologistes récemment élus ont provoqué de vives réactions en septembre dernier en annonçant vouloir renoncer à certaines pratiques populaires. Le renoncement n’est en effet pas une position aisée à tenir pour un élu. Or, pour rediriger écologiquement l’action publique, il va bien falloir s’engager sur cette voie.
C’est ainsi qu’Origens Media Lab travaille avec une autre grande ville française à l’établissement d’un « protocole de renoncement », pour inventer la future gouvernance susceptible de prendre ce type de décision. Il planche ainsi sur la redirection de grandes infrastructures municipales (piscines, patinoires, stades, parkings) qui sont à la fois très énergivores, très coûteuses à entretenir… et pourtant les plus à même de répondre à une demande sociale.
Leur proposition ? Créer un collectif démocratique de citoyens, d’élus, de techniciens, qui procéderait dans un premier temps à une enquête pour déterminer, cartographier tous les « attachements » liés à ces infrastructures : le personnel de la ville, les fournisseurs, les techniciens/réparateurs, les utilisateurs… Qui sont-ils, quelle part de leurs activités sera impactée par une fermeture/réaffectation ? Quelle est la nature des conséquences potentielles, d’un point de vue économique, de trajectoires professionnelles, de gestion de leur quotidien, etc. « Il faut être vraiment conscient de ce que l’on fait, précise Diego Landivar, avoir une image complète de la portée de ces décisions. Sinon on aboutit à un mode de renoncement par le haut, clivant les classes populaires et l’écologie. Il est ainsi plus cohérent de commencer par renoncer à des activités élitistes et fortement polluantes ou énergivores : renoncer à une liaison aérienne domestique par exemple. »
A l’issue de ce travail de co-enquête, le collectif citoyen peut très bien décider de ne pas renoncer à une infrastructure qui est trop importante d’un point de vue social, mais dans ce cas il doit en clarifier les usages et s’engager à faire des arbitrages encore plus forts sur d’autres domaines.
Le deuxième volet consiste à réfléchir concrètement à l’ingénierie nécessaire, les techniciens en place sachant bien souvent entretenir, maintenir une infrastructure, mais pas nécessairement la fermer et la réaffecter. « Les gens sont attachés à leur métier, leur travail, ce n’est pas anodin de leur demander de rediriger, réaffecter leur quotidien. » Un recensement de toutes les contraintes au renoncement est ensuite effectué, suivi par un vrai calendrier mais aussi une programmation de la réaffectation. En accompagnant et en soutenant tous les acteurs identifiés comme impactés par celle-ci dans leur trajectoire de redirection écologique.
Emmanuel Bonnet est professeur en études des organisations de l’ESC Clermont Business School et également membre d’Origens Media Lab. Il consacre l’une de ses recherches à un secteur particulièrement exemplatif, d’ores et déjà confronté de façon spectaculaire à la réalité des limites planétaires : les stations de ski. « Comme toutes les organisations dans l’Anthropocène, ces stations sont confrontées à la disparition de leur ressource essentielle. Qu’est-ce que cela veut dire faire du ski sans neige ? »
A l’heure actuelle, les réponses sont plutôt du domaine du business à tout prix : des hélicoptères qui amènent de la neige sur les pistes, la fabrication de neige artificielle très énergivore, des pistes intérieures comme il en existe à Dubaï, mais aussi en Europe, etc. Une autre orientation est celle de la transition écologique, qui veut croire que les sports d’hiver peuvent être compatibles avec l’écologie. A l’image de l’entreprise californienne Patagonia qui s’engage contre le consumérisme, mais dont le modèle d’affaires n’est pas… de ne pas vendre.
« La première réaction du secteur et des amateurs, c’est de persister, de forcer le possible pour continuer malgré tout à faire du ski. Cependant, le monde dans lequel nous vivons est un monde ‘‘en ruine’’ comme le dit l’anthropologue Anna Tsing, nous devons nous y confronter, et ne pas surajouter au monde une trajectoire qui n’existe plus, poursuit Emmanuel Bonnet qui est au début de son exploration. Or, je constate que la question principale traitée par les chercheurs est celle de l’économie. Les pistes explorées sont celles de l’innovation intensive, de la diversification, de la sécurisation, mais jamais celle du renoncement. »
Comment, avec les acteurs concernés, inquiétés, fragilisés par la situation, construire un protocole de renoncement ? Lister ce à quoi il faudrait renoncer, mais aussi les impacts au niveau économique, technologique, également symbolique. _« L’équipementier Salomon par exemple est profondément attaché à la neige. Il ne suffit pas de lui dire de passer à la modestreet wear. Se diversifier n’est pas une mince affaire. Il ne faut pas minimiser les obstacles. »
Que ce soit pour des entreprises ou des infrastructures publiques, la question de la réaffectation est évidemment capitale. « Nous n’abordons pas la fermeture sous l’angle néolibéral en disant ‘‘advienne que pourra’’, parce que ça ne marche plus,_insiste le chercheur. Tout l’enjeu consiste à prendre en compte la réalité humaine, non-humaine, sociale, etc., derrière ces renoncements, de ne pas laisser tomber les gens mais au contraire de les associer à la réaffectation. »
Les chercheurs d’Origens Media Lab appellent ainsi à créer de nouveaux services publics, pour assurer les personnes dans leur trajectoire de redirection écologique. « Il faut penser à de nouvelles formes de protection sociale, de nouveaux régimes assurantiels, d’accompagnement et de formation, ajoute Diego Landivar. On peut imaginer un revenu de transition qui permette à n’importe qui de se rediriger vers un autre secteur, en ciblant par exemple les domaines les plus touchés par le renoncement. ».L.d.H
Vincent Rabaron et Aurélie Moy sont les fondateurs de l’agence de redirection écologique Vingt & Un Vingt Deux. Ils interviennent dans des entreprises pour les accompagner sur ce (parfois long) chemin vers une activité plus durable. « Notre première action est de travailler sur leur culture, en les informant sur notre situation, sur l’Anthropocène. Nous utilisons notamment l’atelier d’intelligence collective la Fresque du climat [www.fresqueduclimat.org, NDLR]. Quand la prise de conscience est entérinée, on peut réfléchir à comment prendre le virage de la redirection écologique. C’est beaucoup plus puissant de faire avancer les gens en leur proposant de trouver les solutions par eux-mêmes. »
Vincent Rabaron a ainsi accompagné une entreprise fabriquant des bouteilles de verre. Son four est un gros consommateur de fioul et la réaction chimique nécessaire à l’élaboration du verre émet en plus du CO2. Depuis plusieurs années, la firme investit dans l’efficacité énergétique, mais vend toujours plus de bouteilles… annulant ainsi la maigre économie atteinte. « Leur modèle d’affaire – plus je vends, plus je fais des bénéfices – rend impossible toute amélioration. Beaucoup de nos clients sont bloqués ainsi. » Pour trouver une solution, les deux redirectionnistes proposent souvent de réfléchir à « comment ça marchait avant ». Ici, passer à la récupération des bouteilles et les laver plutôt que d’en fabriquer sans cesse de nouvelles diminuerait radicalement leurs émissions de CO2 et leur usage de matériaux. Pour l’instant, l’entreprise n’est malheureusement pas encore passée à l’action. « Il faut beaucoup de temps pour cela, il y a tout une période d’acculturation nécessaire, de compréhension de l’ampleur du problème pour changer de modèle. Beaucoup de firmes s’imaginent que le passage à une flotte de voitures électriques est une solution suffisante… » Les redirectionnistes ne brusquent pas leurs clients – les braquer ne servirait à rien – et leur indiquent plutôt un horizon à dix ans, suggérant de transformer leur activité petit à petit, progressivement.
« Mais quelquefois la redirection est tout simplement impossible, la seule solution étant la décroissance et la fermeture, ou le passage à une tout autre activité. Le travail c’est alors de regarder les choses en face… » .L.d.H
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