« On va tourner ! » Cadreur, réalisateur, acteurs, tout le monde se tient prêt. Dans cette grande boîte noire, à Vilvorde, dans la périphérie bruxelloise, un tournage a commencé. Avec minutie, le bureau d’un commissariat a été reconstitué. Des caméras, des spots à foison, des rails pour les travellings, une longue ligne de miroirs où les différents acteurs ont leur photo en costume coincée dans le cadre. L’atmosphère est feutrée, concentrée. Dans le studio d’à côté au contraire, on tape, on scie, on cloue, on peint, les constructeurs s’agitent. Ce sont bientôt de petites parties d’un hôpital qui seront montées ici, faisant parfaitement illusion. La magie du cinéma…
Avant d’arriver sur nos écrans, un film nécessite des heures de travail, mobilise des dizaines, des centaines de personnes, requiert de trouver des moyens financiers, de construire des décors, de se déplacer, d’éclairer, d’habiller, de travailler les images… Comme toute activité ou presque, le 7e art génère émissions de gaz à effet de serre, pollution ou déchets, et peu à peu le milieu du cinéma se questionne, réfléchit, met en place de nouvelles façons de faire pour réduire son impact. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, les fonds publics qui financent une partie de l’industrie cinématographique européenne imposent des critères « verts », ou au moins les conseillent. Le Centre national du cinéma, acteur capital en France, va exiger un bilan carbone aux productions qu’il subsidie. En 2024. « Ça bouge, mais à vitesse lente, regrette Charles Gachet-Dieuzeide, co-fondateur et directeur général de Secoya Eco-tournage, société qui accompagne les acteurs de l’industrie. Tout le monde se renifle un peu alors qu’on devrait avoir changé ça depuis longtemps. »
Les émissions sur un tournage
Transports : 40 %
Déchets : 28 %
Post-production : 19 %
Catering : 8 %
Energie : 5 %
En Belgique, la Flandre apparaît comme pionnière, le VAF (Vlaams Audiovisueel Fonds) imposant depuis 2013 des productions « durables », et un bilan carbone pour obtenir la dernière tranche de financement de 10 %. Wallimage a suivi en 2019. Pas mal freinée par les mesures anti-Covid, souvent en contradiction avec l’écologie, l’implémentation du projet Green Film est à présent bel et bien faite. Le principe ? Un cahier des charges à remplir, avec des actions allant de la bonne gestion des déchets au plan de transport, donnant des « points » lors de l’attribution des subsides. « Cela compte pour 8 % des points dans l’analyse des dossiers, explique Benjamin Vanhagendoren, chargé de projet chez Wallimage. Ce n’est pas rien, nous voulons faire comprendre que nous ne rigolons pas avec ça. Ce n’est plus possible de continuer à travailler sans même considérer ces questions alors que tout le monde fait des efforts. Un long métrage tourné en Belgique, c’est en moyenne 70 tonnes de CO2 – soit à peu près l’équivalent de deux ménages pendant toute une année. Les productions, rien qu’en Wallonie, émettent 300 à 400 tonnes de CO2 par an. »
Peu de covoiturage
Au studio 1, Stéfane Tatibouet, le régisseur général, propose du pain perdu ce matin-là sur la table régie où viennent picorer comédiens et techniciens. « J’ai récupéré les restes de la semaine dernière ! » Sensible à ces questions de consommation, il a envoyé un message à tout le monde avant le tournage : ici, pas de Coca, pas de soda, « amenez vos gourdes ». Cantines bio, locales, zéro déchet, les petits gestes posés à domicile sont transposés ici. « On demande qui n’est pas végétarien, explique Tim Wagendorp, coordinateur durabilité au VAF, et le fait d’inverser la question permet de poser plus facilement des choix durables. » Même si c’est la mesure qui crée le plus de polémiques. « Les tournages sont parfois physiques, les techniciens sont souvent masculins, sourit Agata Licciardello, régisseuse, éco-conseillère, green manager sur divers projets cinéma, ne pas avoir de viande au menu, ça coince. »
« J’ai aussi appelé les membres de l’équipe pour organiser du co-voiturage, reprend son collègue Stéfane Tatibouet. Il y a deux personnes qui viennent d’Anvers à vélo ! » Sur un tournage, ce sont clairement les transports qui sont en première ligne. Ici, la tâche est relativement aisée : les studios Lites sont proches d’une gare, tous les techniciens et comédiens sont convoqués en même temps et ne sont pas très nombreux.
Lors de tournages en rase campagne, c’est autrement plus complexe. « Et puis le cinéma, c’est une société un peu élitaire, commente Agata Licciardello. Alors les comédiens viennent en voiture et souvent seuls, les productions n’osent pas changer ça. Moi j’ai prévenu en envoyant le plan de développement durable, et beaucoup m’ont répondu ‘‘il était temps’’… » Bus pour cueillir les comédiens à la gare la plus proche, recours aux services de voitures partagées… il est souvent possible de faire mieux. En évitant toutefois les absurdités, comme ces véhicules électriques rechargés… sur un générateur au diesel.
Nombre de productions européennes sont en réalité des co-productions, financées par plusieurs pays, plusieurs régions, avec toujours comme demande de tourner localement – l’objectif étant de générer de l’activité économique dans le pays producteur. « C’est une vraie richesse », revendique Tom Heene, premier assistant sur de nombreuses « co-pro ». « Notre pays est trop petit pour s’en passer », ajoute le producteur Jacques-Henri Bronckart, de Versus production. Mais cette règle entraîne inévitablement de nombreux déplacements – en avion bien souvent. « J’ai travaillé pour une série belgo-germano-danoise, raconte Tom Heene, et je prenais l’avion à chaque fin de semaine pour rentrer chez moi. » Bouli Lanners, dont le dernier long métrage fut tourné sur l’Ile de Lewis, en Ecosse, a quant à lui imposé l’immobilité : « C’était une condition : une fois sur place, plus personne n’a bougé, pas question de revenir en Belgique le week-end. Et là-bas nos déplacements étaient minimum, en camionnette. Je suis très mal à l’aise avec ces transhumances. » Mais si Nobody has to know utilisait un décor naturel très spécifique, ce n’est pas le cas de nombreuses co-productions. Malgré tout, la fin de cette obligation de tournages localisés auprès des bailleurs de fonds n’est sans doute pas pour demain : « Avec le Covid, Pays-Bas et Luxembourg ont laissé tomber cette règle, remarque Tim Wagendorp, en se disant qu’au final les choses s’équilibreraient », mais investir des fonds publics et risquer de voir les retombées aboutir ailleurs semble compliqué.
Second poste important dans la liste des impacts : les déchets. Bon nombre de professionnels, chacun dans leur coin, travaillent déjà à réduire leur empreinte (lire p.97), parce que concernés personnellement par ces enjeux. Mais les vieilles habitudes sont parfois difficiles à modifier. « Alors que je pratiquais le zéro déchet dans ma vie privée, au boulot je passais mon temps à ramasser des bouteilles en plastique, jetées parfois à moitié pleines parce que je ne pouvais pas savoir à qui elles appartenaient », explique la régisseuse Agata Licciardello, réjouie de pouvoir imposer d’autres pratiques comme green manager. Tout en se battant pour pouvoir par exemple se débarrasser de ses poubelles : pas d’accès aux parcs à conteneurs pour les non-domiciliés sur place, jours de ramassage prévus alors que l’équipe a déjà quitté les lieux… « J’ai chez moi des sacs-poubelle de plein de communes ! » A Bruxelles, où la politique de durabilité vis-à-vis des tournages est « à la traîne », comme le reconnaît Roger Schins, de screen.brussels Film commission, des ramassages spécifiques sont proposés, ainsi que l’accès aux parcs – ou celui, dans un autre domaine, aux branchements forains, les générateurs étant des équipements très polluants, bien qu’inévitables dans certains endroits sans électricité suffisante. « Il faut aussi veiller au respect des lieux occupés, ajoute Charles Gachet-Dieuzeide, y compris à la biodiversité. »
Trop souvent encore, « les productions essayent d’optimiser ce qui n’a pas été réfléchi dès le départ du projet, remarque Sophie Cornet, consultante accompagnatrice du secteur audiovisuel au niveau développement durable. Du coup on agit à la marge, on se repose sur les régisseurs ou directeurs de production qui sont déjà débordés. » Or plus ces questions de durabilité sont pensées en amont, plus elles seront efficaces et mises en œuvre.
Ainsi, quand une production prévoit de filmer, en hélicoptère, des oiseaux qui nichent sur une falaise, le responsable de Secoya alerte : est-ce vraiment indispensable à l’histoire ? Le cinéma qui se tourne chez nous est évidemment à des années-lumière d’une production hollywoodienne – et sans commune mesure au niveau des budgets, ce qui est pour partie plutôt bénéfique en termes d’écologie. « Je connais la réalité logistique derrière chaque ligne de scénario, raconte Bouli Lanners. Si tu écris ‘‘C’est la nuit, il pleut, la voiture dévale le ravin’’, c’est 50 000 euros de plus. En écrivant pour que cela coûte moins, c’est aussi plus écologique. » Quitte à « brider » la créativité des auteurs ? « Le prochain projet de Guillaume Senez que nous produisons se passe au Japon, mais nous ne réfléchissons pas au fait que l’on va devoir prendre l’avion », admet Jacques-Henri Bronckart.
Lors du chiffrage budgétaire d’un long métrage, Joseph Rouschop, son homologue chez Tarentula, s’efforce de prendre en compte ces contraintes. « On essaye de concerner tout le monde à toutes les étapes, et certains auteurs ont déjà cette préoccupation ancrée dans leur stylo. » Pour « tout ce qui n’est pas fait dans l’urgence », le choix de sous-traitants « verts » est effectué quand c’est possible. Elaborer un plan de tournage, éviter de réaliser des scènes qui disparaîtront au montage, ne pas construire une pièce entière alors qu’un seul un mur sera visible, « ne pas prévoir une scène sous la neige, alors que le tournage a lieu en juillet », conseille Véronique Pevtschin, CEO de The Greenshot, une application permettant le calcul d’empreinte de chaque décision et l’obtention des certifications, toutes ces attentions peuvent aussi allier économies et durabilité.
De son côté, Tom Heene raconte le cas de ce road-movie belgo-suédois porté par une équipe « jeune, très féminine et alternative » qui a voyagé en train d’un lieu de tournage à l’autre, avec un planning conçu sur mesure. « Dans le cinéma, on travaille souvent dans le stress, une journée de tournage coûte cher, on ne peut pas perdre de temps. Or cinq minutes par heure, c’est quarante par jour, et ce sont deux plans qui pourront ou non être réalisés… », ajoute le premier assistant.
« L’idée n’est évidemment pas de rendre les tournages impossibles, insiste Alissa Aubenque, directrice des opérations de l’association Ecoprod. Les producteurs disent que le frein c’est l’argent, mais je n’en suis pas convaincue : il faut prendre plus de temps lors de la préparation, d’accord, mais cela permet d’optimiser les coûts ensuite. Je crois que le blocage principal est psychologique, il faut repenser ses habitudes. » Pour beaucoup d’intervenants, la réglementation est ainsi un passage obligé. « Il faut une volonté politique, plaide Roger Schins, de screen.brussels, et unifier les règles – déjà en Belgique c’est différent dans chaque Région. Or, un tournage, ça bouge tout le temps ! »
En Europe, les initiatives foisonnent, ce qui ne facilite pas la production. « L’avenir c’est un label européen, plaide Joseph Rouschop, une charte green sur tous les plateaux. » Le producteur de Tarentula comprend la nécessité d’un contrôle, mais pour son collègue Jacques-Henri Bronckart les exigences actuelles de Wallimage sont « très contraignantes, hors de la réalité, trop bureaucratiques et coûteuses. Il faudrait engager une personne à temps plein rien que pour gérer ce poste-là. »
Sur le fond cependant, pour tous, il faut bouger. « On est souvent perçus comme des empêcheurs de jouir en paix, constate Benoît Ruiz, analyste environnement et innovation chez Workflowers, société qui accompagne les entreprises de l’audiovisuel et du numérique vers plus de durabilité, mais si nous ne voulons pas être contraints de tout réduire brutalement, il faut agir maintenant. » — Laure de Hesselle
Dès l’écriture du scénario
« Je voulais être productrice de cinéma pour proposer d’autres visions du monde, raconte Morgane Baudin, co-fondatrice de Calista Films ainsi que de Pixetik, agence de placement de produits à impact positif. Grâce à l’identification, le cinéma peut être bien plus efficace qu’un débat et constitue un vrai moyen d’agir. »
Les histoires racontées sur nos écrans véhiculent des idées, des valeurs, « elles peuvent nous parler d’écologie, poursuit sa collègue de Calista Films Alissa Aubenque, nous ouvrir les yeux, mais aussi nous permettre de sortir d’une vision apocalyptique, nourrir un imaginaire désirable et durable. » Les productrices ont ainsi lancé des ateliers d’écriture, autour de l’idée de créer de nouveaux récits. « Interrogeons-nous sur notre manière de raconter les histoires : pourquoi faudrait-il nécessairement un conflit pour la faire avancer, donc un gentil et un méchant, un gagnant et un perdant ? Nous sommes empreints du cinéma hollywoodien, à la vision très individualiste, isolant un héros ou une héroïne. Ne pouvons-nous construire des récits plus collectifs ? »
Pour Tim Wagendorp, du VAF, s’il ne s’agit pas de limiter la liberté créative, les auteurs peuvent aider à « imaginer un nouveau normal ». « Il est temps de prendre conscience des conséquences concrètes de ce qu’on écrit. » Avec Pixetik, Morgane Baudin tente ainsi de modifier le décor, d’y placer des produits éco-responsables. « Ce sont souvent les marques bien installées qui font et ont les moyens de ce genre de choses, ce qui renforce encore leur présence dans les imaginaires. »
Au-delà du sujet principal, les gestes « quotidiens » décrits peuvent avoir un impact. « Montrer un acteur sur un vélo plutôt qu’au volant d’une BMW, commente Charles Gachet-Dieuzeide, ça a son importance. Non, un type qui jette son mégot par terre, c’est pas badass, c’est juste nul ! Nous devons être responsables de ce que nous montrons, de ce que nous disons et de notre manière de le faire. » —
En post-production
Pour éviter des transports inutiles, produire des situations impossibles à tourner « en vrai » ou encore réaliser des économies, les réalisateurs ont de plus en plus recours au numérique. Après les fameux « fonds verts », qui permettent d’incruster les scènes filmées dans un décor, ce sont à présent les « murs LED » qui se développent – autorisant les prises de vues sous différents angles. Au-delà des éventuelles possibilités créatives et des craintes quant à l’emploi d’une partie des techniciens, filmer devant ces murs a-t-il moins d’impact sur l’environnement ? Comme souvent avec le numérique, la question est encore ouverte, les critères à prendre en compte étant très nombreux. Ecoprod, association française réunissant divers acteurs du secteur audiovisuel, a commandité une étude sur la question. « Le numérique pose des questions d’émissions carbone, de ressources, de dépendances… C’est sans doute mieux que de déplacer toute une équipe au Sahara, se dit Alissa Aubenque, directrice des opérations de l’association, mais cela a encore du sens de tourner devant notre porte. Il n’y a en réalité pas de solution idéale ou standard. » Certains s’interrogent par ailleurs sur l’innocuité des murs LED par rapport à la santé. Que ce soit dans le cadre de la post-production ou de la diffusion des films ensuite, ce sont les usages du numérique qui sont à questionner pour Benoît Ruiz, analyste environnement et innovation chez Workflowers. « Pour les effets spéciaux par exemple, c’est le temps-machine qui est important à prendre en compte. On est passé de la 3D précalculée où il fallait 30 minutes par image à une quasi instantanéité. Mais du coup les animateurs ont tendance à faire beaucoup plus de prises, et on se retrouve avec un effet rebond. » Pour le streaming, même type d’interrogation : si l’empreinte par unité de contenu est très faible, l’offre a explosé et « le volume global est démentiel, ne cesse de grandir ». Et faut-il vraiment regarder ces films sur un écran ultra-HD 8K, « alors que l’œil humain ne voit pas la différence ? » —
Et les festivals ?
« A Cannes, les gens prennent l’avion trois fois par semaine, s’insurge Bouli Lanners, il y a des limousines énormes, la climatisation à fond pour ne pas suer… Les apparats du cinéma sont sans doute plus polluants que le cinéma lui-même. » Le Festival de Cannes déroule en ce mois de mai son tapis rouge, ses yachts et ses stars… et ses tonnes de déchets et d’émissions. Depuis l’an dernier, il s’est enfin résolu à faire quelques efforts – supprimer les bouteilles d’eau ou changer le tapis deux fois moins souvent, etc.
Au festival des Arcs, le délégué général Guillaume Calop affiche sa volonté de faire mieux, en promouvant des films sur ces thématiques, en organisant des tables rondes et des conférences sur les écotournages. « Nous sommes, avec une quarantaine d’autres festivals, en train d’établir une charte, pour calculer notre impact et nous engager à nous améliorer. » Repas végétariens, flyers et programmes uniquement sur demande et plus distribués à tout va, l’organisation s’améliore. Mais le poste principal, les transports, reste une question en suspens. « Nous proposons systématiquement le train, mais nous sommes un lieu enclavé… C’est certain que venir des quatre coins d’Europe en avion est une source de pollution. Ce sont cependant des rencontres humaines, et nous tentons d’utiliser l’événement pour faire passer de bonnes idées. » —
L’art de la récup’
A priori, c’est juste un évier, encastré dans une structure en bois. Mais une bassine à ses pieds et des tuyaux mettent la puce à l’oreille : ceci n’est pas tout à fait un évier comme les autres. « C’est lors d’un tournage au milieu des vignes, raconte Alberto Sebastiani, chef peintre, ce jour-là dans un studio entouré de dizaines de pots de peinture, que je me suis posé la question : comment ne pas rejeter mes crasses en nettoyant mes pinceaux ? »
Généralement, ses collègues se contentent de l’évier raccordé au réseau, le bouchant à l’occasion, et envoyant moult polluants dans les stations d’épuration des villes, pas vraiment prévues pour cela. Sans compter les quantités d’eau potable ainsi gâchées. « Avec mon système, j’utilise 90 litres d’eau, que je fais tourner en circuit fermé. Et quand elle est vraiment saturée, j’utilise un produit séparateur. »Une poignée de « poudre magique » dans la bassine, et la peinture flocule, laissant l’eau parfaitement claire.
Alberto Sebastiani est l’un de ces quelques intervenants sur les plateaux à veiller depuis longtemps à ses déchets. Il récupère ses pots de couleurs, nettoie avec grand soin ses outils – « mes brosses ont dix ou vingt ans d’âge ! »Sur les « murs » qu’il confectionne cette après-midi-là, la peinture de fond, sans importance, est composée des restes de tournages précédents. Quant aux murs en question, ils seront parfaitement démontables et récupérables : « Je colle sur les panneaux de bois une ‘‘ peau de vache’’, que je peux décoller à la fin des prises de vue. » « Les matériaux coûtent cher, surtout pour le moment, remarque Igor Gabriel, chef décorateur, c’est peut-être l’occasion d’une prise de conscience. Mais à la fin du tournage, tout le monde est pressé, on doit rendre les lieux propres, et c’est alors souvent plus simple de tout casser et de tout balancer dans un container. Il faut faire comprendre que le démontage est aussi important que le montage. »
Dans un hangar en bordure de la Région bruxelloise, des tapis, des châssis de fenêtres, des portes, des morceaux de bois de toutes sortes. Au fond, on distingue l’envers d’une façade d’immeuble. Quelques panneaux près de l’entrée vont devoir être jetés : ils sont piqués de moisissures. Pour le reste, tout ici est destiné à être réutilisé. « Le stockage, ça coûte cher, expose Alessia Guidoboni, la co-fondatrice de Magazzino, une ressourcerie dédiée au cinéma, mais aussi à l’événementiel ou à la construction. Personne ne veut s’en charger dans ces milieux qui n’ont pas d’espace pour ça. En nous ouvrant à plusieurs secteurs, nous espérons faire tourner plus rapidement les matériaux. Plus il y a de possibilités, plus la créativité se déploie. » A la recherche d’un lieu en ville, Alessia aimerait aussi y développer l’écoconception des décors, pour les rendre facilement démontables et réutilisables. « Plus c’est réfléchi en amont, mieux c’est récupéré. »
Elise Ancion, elle, ne fait pas dans les panneaux et les pots de peinture. Mais la récupération, elle connaît : comme costumière, elle sillonne les magasins de seconde main – jamais Internet. « Un vêtement qui a vécu, cela fait sens dans un film. Moi j’ai besoin de le toucher, de le mesurer. Les tissus anciens sont souvent plus solides aussi, et réutilisables. Quand j’ai besoin de plusieurs pièces identiques, je cherche ça dans les boutiques indépendantes, j’essaye de faire au plus local, mais c’est difficile à trouver, ces enseignes sont de moins en moins nombreuses. » Un paradoxe, en passant : le seconde-main ne fait pas partie des dépenses admissibles pour Wallimage…
Par contre, à la fin d’un tournage, la costumière, par manque de place, ne conserve pas grand-chose. « Mais les vêtements sont soit récupérés par les comédiens, soit donnés à des associations. Pour qu’un stock fonctionne, il faut énormément de pièces. Les vêtements se démodent très vite, même les soi-disant ‘‘intemporels’’. » —