Face aux urgences environnementales, l’école secondaire reste au balcon. Une nouvelle charte tente bien de rallier le monde enseignant face au conservatisme ambiant, mais cette question est encore le parent pauvre des programmes scolaires.
Face aux urgences environnementales, l’école secondaire reste au balcon. Une nouvelle charte tente bien de rallier le monde enseignant face au conservatisme ambiant, mais cette question est encore le parent pauvre des programmes scolaires.
Sur le parking du collège Saint-Etienne, les vélos se profilent à l’horizon en ce petit matin de fin d’été. Arrivée la première, peu avant 8 heures, Gaëtane Coopens encode les kilomètres parcourus par les jeunes cyclistes. « Nous participons à la campagne Tous vélo-actifs, explique l’enseignante. L’an dernier, c’est notre collège qui a remporté le challenge, toutes écoles confondues. » L’affluence gagne le nouveau parking vélo, bientôt complet. Pour la deuxième année consécutive, le collège de Court-Saint-Etienne figure dans le duo de tête des meilleures écoles cyclistes francophones.
Cet engouement pour une mobilité durable contraste avec le constat posé par Gaëtane Coppens : l’environnement est encore loin d’être une priorité dans l’enseignement secondaire. Si bien qu’avec ses confrères Pascale Dara, Matthieu Duplicy, Edith Singleton, Yves Conan, Aurélie Larcy (et d’autres), la professeure de chimie et de physique a initié et porté, ces derniers mois, une Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique ralliée par 1 275 signataires début octobre.
« Ce thème demeure trop peu abordé dans le cadre de l’école secondaire alors qu’il conditionne notre avenir à toutes et tous, expose l’enseignante. L’augmentation du niveau de conscience est donc prioritaire et avec elle la nécessité d’implémenter une formation obligatoire sur l’urgence écologique pour toutes les enseignantes et enseignants, quelle que soit leur discipline. »
« Aider les élèves et étudiant·e·s à comprendre les enjeux écologiques » ; « aborder les thématiques environnementales dans leur complexité » ; « débattre pour développer la pensée » ; « offrir une place aux émotions et cultiver les imaginaires »… Composée de douze têtes de chapitre, la charte identifie pour chacun de ses points des freins et des leviers d’actions scolaires face à l’ampleur et la dimension systémique de l’enjeu écologique. Selon une étude récente du Forum des jeunes, les 16-24 ans n’attendent que cela. Fait significatif : 83 % des jeunes disent ne pas avoir accès à des sources d’information adaptées à leurs besoins sur le dérèglement climatique. Et près de six jeunes sur dix estiment que leur formation scolaire « ne permet pas de prendre des décisions durables et respectueuses de l’environnement dans leur futur ». Pour 74 % des répondantes et répondants, les thématiques liées à l’environnement n’ont « pas suffisamment » (60 %) ou « pas du tout » (14 %) été abordées dans leur parcours scolaire. Et lorsqu’on leur demande si les contenus délivrés par l’école sont satisfaisants, 48 % d’entre eux répondent par la négative.
« Plus de neuf jeunes sur dix estiment que l’éducation à l’environnement devrait être davantage abordée dans le cadre du cursus scolaire, remarque Camille Biot, coordinatrice de l’étude. Dans le nouveau tronc commun, le développement durable est présent dans les référentiels des sciences, de technologie, en histoire, géographie, économie et en sciences sociales. Tout l’enjeu est de pouvoir aborder ces contenus dans les autres cours. Mais cela va prendre encore des années… »
Au bas mot, une dizaine d’années si l’on tient compte de l’enseignement secondaire supérieur. « Même si l’environnement est davantage présent dans les nouveaux référentiels du tronc commun, on aurait pu aller plus loin, analyse Christophe Dubois, secrétaire général du Réseau IDée (Réseau d’Information et Diffusion en éducation à l’environnement), qui fédère près de cent cinquante associations. Idem pour la récente réforme de la formation initiale des enseignantes et enseignants, jusqu’au secondaire inférieur, qui passe de trois à quatre ans : les futurs profs seront davantage formés à la pédagogie, à la maîtrise de la langue française, à la communication, au numérique, à la psychologie et à la sociologie… mais apparemment pas à l’écologie. »
Plus en aval, les programmes de formation continue des enseignantes et enseignants du secondaire organisés par les centres actifs en Wallonie et Bruxelles sont aussi maigres sur ce plan. « Nous avions alimenté un axe ‘‘éducation à l’environnement et au développement durable’’ dans le catalogue de formation continuée de l’IFPC (inter-réseaux), regroupant plusieurs formations, constate Christophe Dubois. Beaucoup ont dû être annulées faute de participantes et participants. La plupart des profs semblent se former en priorité là où le système de l’enseignement identifie les enjeux et évalue les faiblesses : PISA, les contrats d’objectifs, les plans de pilotage… »
Lueur d’espoir à Bruxelles pour l’année scolaire 2023-2024 : vingt-trois formations en lien avec les thématiques environnementales font désormais partie des lots de l’offre de formation continue pour les profs du secondaire. Ces derniers constituent à cet égard le parent pauvre dans le domaine de l’éducation à l’environnement.
Selon un nouveau rapport publié par le Réseau IDée sur la fréquence des activités organisées par des associations qui interviennent en milieu scolaire, « les types de publics les plus fréquemment touchés sont les enfants de 6 à 12 ans (48 %), les adultes (36 %) et les jeunes enfants de 3 à 5 ans (28 %). Cela signifie que les adolescent·e·s (12-18 ans), sont proportionnellement plus rarement atteints par les associations… »
Tant pour le Forum des jeunes que le Réseau IDée, il est dès lors prioritaire de définir des contenus obligatoires à la hauteur des connaissances et compétences nécessaires pour faire face au défi climatique et écologique. « Tant que cela ne prendra pas davantage de place explicite dans les programmes, ça ne se retrouvera pas dans les formations initiales du corps enseignant, note Christophe Dubois. Et cela reste ‘‘au bon vouloir’’ de profs motivés par ces questions. »
Jeune prof de géographie au collège d’Alzon (Bure), en province de Luxembourg, Max Stockmans était plutôt du genre hyperactif sur les enjeux écologiques. Il a été licencié en juin 2023 suite à un rapport d’inspection défavorable. Ce document, dont Imagine a pu prendre connaissance, conclut, notamment, que l’intéressé « ne couvre pas le programme de géographie (…) tel qu’il est défini par les référentiels ». Et qu’« en conséquence, les résultats obtenus ne sont pas fondés juridiquement ».
Trois mois plus tard, le prof de cinquième année, largement soutenu par une pétition de parents et d’élèves, n’en revient toujours pas. « J’ai mis les enjeux climatiques, environnementaux et énergétiques au centre de mes cours depuis deux ans. Cela m’a enlevé mon droit d’enseigner, regrette-t-il. On m’a reproché des lacunes administratives, des manques de rigueur au niveau de l’orthographe et par rapport aux programmes. Je me suis simplement permis de parler des enjeux socio-écologiques à travers une approche multidisciplinaire pour prendre en compte la complexité des problématiques. Mais si on respecte de manière stricte les programmes, les jeunes de cinquième et sixième ne seront pas armés pour faire face aux défis socio-écologiques. »
Cette professeure de première bac en sciences de gestion dans une université wallonne, qui préfère garder l’anonymat, confirme d’une certaine manière les craintes des lacunes engendrées par la faiblesse des enseignements écologiques dans le secondaire : « Quand je me suis retrouvée devant les étudiantes et étudiants du premier quadri, la plupart ne connaissaient pas les bases des changements climatiques et n’identifiaient pas les institutions clefs dans ce domaine, comme le Giec. J’ai eu un moment de sidération. Cela nous questionne en profondeur sur les contenus de ces enseignements avant les études supérieures. »
Ce questionnement était déjà au cœur d’une étude spécifique de l’Aped, en 2019, qui avait constaté, dans les trois Régions du pays, un recul des connaissances fines liées aux causes et conséquences du dérèglement climatique chez les élèves du secondaire. Une analyse plutôt sévère, à rebrousse-poil des idées reçues alors que les marches pour le climat s’invitaient chaque vendredi dans la rue. Responsable du laboratoire de pédagogie à l’UNamur, Marc Romainville qui a présidé la Commission chargée de coordonner les groupes de travail dédiés à l’élaboration des référentiels, considère que la latitude des écoles est désormais assez importante pour prendre des initiatives qui renforceraient les contenus liés à l’écologie. « Le contrôle direct du niveau des études n’est plus réalisé parce que, dans la perspective du pacte d’excellence, chaque école définit ses objectifs dans le cadre des référentiels, explique-t-il. Il y a une marge de manœuvre importante. Si les profs de physique et de chimie décident de relier leurs enseignements à partir des contenus repris dans les référentiels, ils peuvent le faire. Il ne faut pas attendre les nouveaux référentiels pour travailler sur l’urgence écologique dans le secondaire supérieur. Les enseignantes et enseignants ont la liberté d’aborder ces enjeux dès à présent. »
C’est aussi l’esprit d’un projet de circulaire qui devrait être envoyée aux directions d’école dans les prochains mois par la ministre de l’Enseignement Caroline Désir (PS). Ce projet, qui s’appuie sur un accord de coopération en éducation relative à l’environnement et à la nature, sera cosigné avec les deux ministres bruxellois et wallon de l’Environnement, Alain Maron (Ecolo) et Céline Tellier (Ecolo). Il n’y aurait aucune forme d’obligation dans la formation des profs, comme le souhaitent les porteuses de la charte reçues par la ministre Désir fin septembre, mais une incitation à travers des exemples comme l’école du dehors, la végétalisation des écoles ou l’éco-gestion des bâtiments… « Il s’agira de faire la promotion d’activités existantes qui peuvent légitimer l’intention des directions, souligne-t-on au cabinet Tellier. Cela peut aider à débloquer certaines situations. La circulaire reprendra les types de parcours possibles (climat, biodiversité, déchets, etc.) et indiquera les acteurs pertinents, dont le réseau IDée comme porte d’entrée, sur lesquels l’école peut s’appuyer. » Du côté des porteuses de la charte, la crainte, sinon la déception, est perceptible. « L’écoute existe côté politique, relève Gaëtane Coppens. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des décisions et des actions. Or les moyens sont limités, on travaille en enveloppe fermée et on nous objecte qu’il faut respecter la liberté de l’enseignement. Cet argument n’est pas tenable face à la gravité de la situation. » –
« On ne peut plus faire l’impasse sur les enjeux écologiques si on veut des décisions sociétales appropriées. Pour remplir correctement sa mission éducative, il est essentiel que le corps enseignant soit correctement formé. Or, aujourd’hui, la formation initiale est clairement insuffisante en termes d’éducation relative à l’environnement (ErE). Et la formation continue, sur ce plan, reste facultative. Pour couper le sentiment d’isolement ou d’impuissance que peuvent ressentir les profs, l’idéal serait d’initier une réflexion d’équipe au sein de chaque établissement d’enseignement. Réfléchir ensemble aux solutions que l’on peut mettre en place et s’engager individuellement et collectivement dans une dynamique positive et motivante. Etre davantage à la hauteur de notre mission éducative, c’est notre responsabilité et c’est urgent ! »